mercredi 26 mars 2008

400 mots pour vivre

Allons cette semaine à Grenoble pour y découvrir L'Espace adolescents, structure d'accueil visant à re-scolariser des jeunes de 14 à 21 ans en rupture scolaire. Une structure comme il en existe aux Mureaux me diriez-vous ? Non, l’initiative va encore plus loin et s’attaque à un problème de fond : le réapprentissage du langage.
La langue française est souvent remplacée par la langue des cités, comprise par ses seuls initiés. Nous l’entendons quelques fois dans le train et il n’est pas simple d’en décoder les paroles. Pas simple non plus dans ces conditions de décrocher un travail, d'ouvrir un compte en banque, de monter un dossier pour des aides ou de s'inscrire à la Sécurité sociale quand on ne possède que 350 à 400 mots, alors que la moyenne nationale en utilise 2500. Ces chiffres sont tirés d’une étude du linguiste Alain Bentolila, également consultant pour la structure grenobloise. Selon lui, entre 12 % et 15% de la population « jeune » utiliserait exclusivement ce langage des cités. Une langue de proximité parlée en vase clos, sans interaction avec d’autres milieux socioculturels ; par conséquent devenant un facteur majeur d’exclusion pour une tranche de la population qui ne partage plus le socle commun linguistique de la société. Certains spécialistes de la prévention urbaine s’intéressent maintenant à cet handicap langagier. Quand les mots sont absents et ne savent exprimer la colère ou la frustration, les pensées peuvent se manifester par des actes de violence. En témoigne ce récit de Mr Bentolila racontant une scène évocatrice : « Accusé d'avoir volé des CD dans un supermarché, un jeune homme se retrouvait au Tribunal et se faisait littéralement "écraser", ce jour-là, par l'éloquence d'un procureur. Le gars n'arrivait pas à s'exprimer. Le procureur lui a alors lancé : "Mais arrêtez de grogner comme un animal !". Le type a pris feu et est allé lui donner un coup de boule. J'ai eu l'impression que les mots se heurtaient aux parois de son crâne, jusqu'à l'explosion. Quand on n'a pas la possibilité de laisser une trace pacifique dans l'intelligence d'un autre, on a tendance, peut-être, à laisser d'autres traces. C'est ce qu'a voulu faire ce gars ». Il précise quelques lignes après, que la fameuse trace coutera légitiment six mois de prison ferme à l’auteur des faits.
Le langage ne peut être un axe à minorer dans les projets pédagogiques ou les politiques de réinsertion : parce que la langue est notre médiation avec autrui et le support de notre pensée. Cette question en soulève évidement d’autres : la mixité sociale dans les villes, le soutien aux familles, l’accès à la Culture, la réussite éducative ou encore l’égalité des chances.

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